
Ce que le Japon nous enseigne sur la laxophobie
La laxophobie, ou peur excessive d’avoir une diarrhée ou un besoin urgent d’aller à la selle, est une phobie peu connue car tabou et pourtant elle est extrêmement répandue. Je propose ici une analyse approfondie de la manière dont le Japon illustre parfaitement les dynamiques profondes de la laxophobie, notamment en lien avec la honte, la culture du contrôle, et les normes sociales de pureté.
1. Le Japon, une culture de la propreté, du contrôle et de l’étiquette (la philie)
La laxophobie ne peut être comprise sans prendre en compte ce que le Dr John Demartini appelle la philie opposée : plus une société valorise un idéal (ici : le contrôle, la pureté, la discrétion), plus elle génère une peur extrême de son contraire.
Le Japon est mondialement reconnu pour :
- Son obsession de la propreté : les trottoirs sont impeccables, les maisons se visitent sans chaussures, les écoles sont nettoyées par les élèves eux-mêmes…
- Son infrastructure sanitaire avancée : les washlets (toilettes high-tech) équipés de jets d’eau, siège chauffant, et bruits d’ambiance pour masquer les sons, sont omniprésents. Ce n’est pas anodin : ces dispositifs sont conçus pour masquer les fonctions corporelles perçues comme honteuses.
- Le respect absolu de l’autre : ne pas déranger, ne pas imposer son odeur, son bruit ou son corps est une règle implicite constante dans les interactions sociales. Une étude de Culture, Medicine, and Psychiatry (2017) montre que les normes sociales japonaises, comme l’importance de ne pas déranger les autres (« meiwaku »), exacerbent les peurs liées à des fonctions corporelles incontrôlables.
2. La conséquence : un environnement hautement anxiogène pour le corps et ses manifestations (la phobie)
Cette philie extrême crée un environnement dans lequel les fonctions naturelles du corps deviennent des objets de gêne, voire de panique. Ainsi :
2.1. La surconsommation de médicaments antidiarrhéiques
Au Japon, l’utilisation régulière d’antidiarrhéiques en prévention est très répandue. Une étude (Nishida et al., 2018) a révélé que près de 40 % des Japonais anxieux utilisent régulièrement des médicaments comme le lopéramide, parfois avant chaque déplacement. Cela s’inscrit dans une dynamique de contrôle extrême du corps dans l’espace public. Cette dépendance aux médicaments reflète une philie pour le contrôle et la prévention, mais elle peut aussi renforcer la phobie en créant un sentiment de dépendance et en maintenant l’illusion que la diarrhée est une menace constante.
2.2. L’angoisse liée aux transports en commun
Les trajets en train bondés sont l’un des contextes les plus anxiogènes pour les personnes souffrant de laxophobie. Cela s’explique par :
- L’impossibilité d’accéder à des toilettes immédiatement.
- Le regard des autres dans un espace silencieux et fermé.
- Le risque de « gêner » ou « mettre mal à l’aise » les autres.
Une étude du Japan Times (2019) rapporte que l’anxiété liée à l’accès aux toilettes dans les transports en commun est un problème courant, en particulier pour les personnes souffrant de troubles digestifs.
2.3. Le tabou autour des fonctions digestives
La parole sur les troubles digestifs est largement tue. Les termes liés à l’évacuation intestinale sont évités, même dans les contextes médicaux. Le simple fait d’évoquer un besoin pressant est considéré comme un manque de retenue, de maturité ou d’élégance.
3. La laxophobie comme phobie de la honte
Il est donc important de comprendre que la laxophobie, dans ce contexte, n’est pas tant la peur de la diarrhée que la peur d’en subir les conséquences sociales : être vu, perçu, entendu, jugé. C’est une phobie de la honte : la honte comme menace à l’identité sociale.
Or, le Japon est une société où la honte a une portée culturelle unique :
- Les samouraïs préféraient le seppuku (suicide rituel) à la perte d’honneur.
- L’éducation japonaise inculque le gaman (supporter en silence), le shikata ga nai (l’acceptation stoïque), et le haji (la honte) comme éléments structurants de la vie sociale.
- Toute manifestation corporelle inappropriée est perçue comme une perte de contrôle incompatible avec l’étiquette sociale.
Une étude de Asian Journal of Social Psychology (2021) explore comment ces concepts exacerbent les peurs liées à des fonctions corporelles incontrôlables.
4. Ce que cela nous apprend pour la thérapie et la déconstruction de la laxophobie
Comprendre la dynamique entre la valorisation excessive du contrôle et de la pureté (philie) et la peur extrême de la honte liée au corps (phobie) permet de mieux accompagner les personnes souffrant de laxophobie.
4.1. Explorer la philie de contrôle
Certaines personnes ont un attachement extrement élevé au contrôle et à la maitrise de soi. Il est donc important de travailler sur cet attachement à la maîtrise de soi, au respect, à l’élégance, qui crééra de facto la peur de son opposé.
4.2. Déconstruire le lien honte-corps
Le travail passe aussi par la déconstruction de la honte des fonctions corporelles « digestives » avec par exemple :
- Désensibilisation des souvenirs de honte (exemple diarrhée…) avec l’EMDR
- L’exposition graduée aux situations évitées.
- Le travail sur l’auto-jugement et l’image sociale.
- La revalorisation des fonctions corporelles comme naturelles et non honteuses.
4.3. Interroger le perfectionnisme culturellement nourri
Comme dans d’autres troubles anxieux, le perfectionnisme et le besoin de conformité sont des leviers puissants dans la laxophobie. La société japonaise offre un cas d’école de cette dynamique.
Conclusion
Le Japon est un miroir culturel exceptionnel pour comprendre la laxophobie. Il nous montre comment une culture qui valorise l’ordre, la propreté et la non-nuisance génère une peur intense de tout ce qui échappe au contrôle, en particulier les fonctions corporelles. Cette phobie n’est pas simplement une peur de diarrhée, mais bien une peur viscérale de la honte.
Pour toute personne souffrant de laxophobie, il est fondamental de reconnaître et travailler sur les deux pôles : la philie et la phobie.
Références :
- Nishida, A., et al. (2018). « Prevalence of functional gastrointestinal disorders and use of medication in Japan ». Neurogastroenterology & Motility.
- Journals OpenEdition – La peur d’être une gêne pour l’autre : étude du taijin kyofusho (https://journals.openedition.org/traces/13678)
- Demartini, J. (2002). The Breakthrough Experience. Hay House.
- Ohnuki-Tierney, E. (1993). Rice as Self: Japanese Identities through Time. Princeton University Press.
- Lebra, T. S. (1976). Japanese Patterns of Behavior. University of Hawaii Press.